Au fond de ma mémoire, un jardin en frissons
Où le vent caressait les herbes sans un bruit,
Où mes genoux râpés riaient dans les saisons
Et mes mains s’égaraient dans les jeux de minuit.
Je revois les matins, pleins d’odeurs familières,
Le chocolat qui fume, un bol entre les doigts,
Et le soleil timide, à travers les verrières,
Qui posait son or pur sur le lino d’autrefois.
Il y avait les voix, celles des grands, des tantes,
Qui parlaient de la pluie, de la guerre, du pain,
Et moi je dessinais des mondes dans l’attente,
Entre deux morceaux secs, un crayon dans la main.
L’école était plus vaste que le plus grand empire,
Un tableau noir, un roi, des craies comme des clés,
Et chaque question, chaque mot à écrire,
Faisait vibrer mon cœur d’un mystère sacré.
J’avais peur du tonnerre, des monstres dans l’armoire,
Mais j’étais invincible, roi de tous mes secrets.
Un drap devenait cape, et dans chaque miroir
Je voyais un héros, jamais tout à fait vrai.
Les étés s’étiraient comme une mélodie,
Dans le sable collant et les glaces qui fondent,
Et l’on riait très fort sans savoir qu’un jour,
Ces instants deviendraient la plus douce des rondes.
Un vélo trop grand, une chute, un fou rire,
Des cabanes de bois pleines de vieux trésors,
Des lucioles au soir, des silences à écrire,
Et des serments d’enfant qu’on pensait faits d’or.
Je me souviens des nuits, des pyjamas froissés,
Des histoires qu’on relit même quand on les sait,
Et de ce doux frisson, quand la voix familière
Chuchotait un « bonne nuit » au bord de la lumière.
Il y avait la neige, miracle du matin,
Qu’on découvrait les yeux grands comme des galaxies,
Et les bonshommes bancals, les gants pleins de chagrin,
Quand le froid mordait fort, mais qu’on s’en moquait, si…
Si le monde restait grand, si le ciel restait bleu,
Si papa souriait, si maman était là.
On ne comprenait rien aux adieux ni aux vœux,
On croyait que la vie ne finirait pas là.
Aujourd’hui, quand je passe près de ces vieux rivages,
Je revois mes amis, perdus dans d’autres temps,
Et je tends l’oreille aux rires de mon âge,
Échos d’un monde tendre, oublié par le vent. Car l’enfance est un livre que personne ne ferme,
Un trésor enfoui sous les plis de nos jours.
On l’ouvre à chaque pleur, chaque rire, chaque terme,
Et toujours, quelque part, elle revient à son tour.

