J’ai laissé tant de jours s’éteindre sans lumière,
Tant d’heures s’effacer, sans leur dire adieu.
À force de silence, à force de prières,
J’ai vu mourir l’instant au milieu des aveux.
J’ai fui trop de regards que j’aurais dû comprendre,
Et trop souvent baissé les yeux sans un mot.
J’ai laissé dans mon dos des visages à attendre,
Des mains qui se tendaient, et des cœurs à vau-l’eau.
J’ai dit des mots trop durs, par orgueil ou par peur,
Et d’autres, bien plus doux, sont restés prisonniers.
À vouloir me défendre, j’ai semé la douleur,
Et j’ai souvent blessé ceux que j’aimais nier.
Les regrets sont ainsi : des fantômes fidèles,
Ils s’invitent la nuit, dans le lit du sommeil.
Ils murmurent tout bas ce que la vie recèle,
Et réveillent le cœur d’un frisson sans soleil.
J’aurais pu retenir un geste, une caresse,
Ou dire simplement : « Je suis là, pardonne-moi. »
Mais l’instant s’est enfui comme fuit la tendresse,
Et l’on reste figé quand le temps fait sa loi.
Il y a cette lettre que je n’ai jamais lue,
Et ce numéro que je n’ai pas osé…
Un train est reparti, une chance s’est perdue,
Et l’orgueil a grondé quand j’aurais dû céder.
J’ai cru que tout revient, que le monde attendait,
Mais le monde avance, même quand on regrette.
Et les visages flous que l’oubli nous prêtait
Deviennent des adieux que nul ne remette.
J’ai croisé des regards pleins de larmes muettes,
Des adieux sans un mot, des sourires brisés.
Et j’ai compris trop tard que la vie est trop bête
Quand on garde son cœur sous clef, sans oser.
Ô regrets infinis, doux venins de l’âme,
Vous me suivez partout, comme un chien trop loyal.
Vous soufflez sur mon feu, vous éteignez ma flamme,
Et vous griffez mes nuits d’un souvenir brutal.
Mais parfois, dans le creux de ma honte secrète,
Je sens un souffle doux, un pardon endormi.
Comme un rayon discret sur ma peine discrète,
Une voix me murmure : « Tu peux changer ta vie. »
Car le regret est noir, mais jamais terminal,
Il enseigne en silence et transforme en lumière
Ce qui fut maladroit, égoïste ou brutal,
Pour que l’on tende enfin la main nécessaire.
Alors j’avance, lent, mais le cœur à l’écoute,
Chargé de mes erreurs, lesté de mes manqués.
Mais je sème aujourd’hui, sur la plus droite route,
Un peu d’amour sincère aux lieux abandonnés.

