L’homme était assis à même le sol. Recroquevillé, le dos contre le mur de pierres froides, il avait du mal à se rappeler depuis combien de temps il était enfermé ici. Quelques jours ? Quelques mois ? Quelques années ? Il ne savait plus exactement, mais c’était bien trop longtemps à son goût. La pièce était petite. Froide. Grise. Sans vie. Quelques mètres carrés tout au plus, de quoi laisser la place à un lit rudimentaire, un petit lavabo et un bidet. C’était une cellule de prison, pas le club Med. Et les jours étaient passés, s’égrenant petit à petit, tels des grains de sables dans une clepsydre. Doucement, mais sûrement. Un jour, peut-être, il sortirait d’ici. Dans combien de temps ? Il n’en avait aucune idée. Il lui restait encore du temps à passer entre ces quatre murs glacials. Son avocat lui avait parlé de deux ou trois ans la dernière fois qu’il l’avait vu. Mais c’était quand, la dernière fois qu’il l’avait vu en fait ? Il ne savait plus. C’était peut-être il y a quelques mois. Ou alors ça remontait à bien plus loin que ça. Il ne se rappelait plus précisément de la conversation qu’ils avaient eu tous les deux.

Au parloir, il avait écouté son interlocuteur sans vraiment l’entendre, ne se focalisant que sur les paroles qui l’intéressait. Et pour le coup, ce qui l’intéressait, c’était de savoir quand est-ce qu’il allait sortir. L’avocat avait parlé de quelques années, pas plus, sans trop s’avancer. Deux ans ? Trois ans ? Plus ? Moins ? La seule chose qu’il savait, c’est qu’il finirait par sortir de cette pièce.

Il fallait juste être patient. Attendre. C’était quelque chose qu’il savait faire. Il attendait souvent. A l’époque, il attendait que le réveil sonne le matin avant de se lever. Il attendait que la machine à café termine de délivrer sa boisson chaude pour l’engloutir. Il attendait que la grande aiguille de l’horloge du salon se pose sur le chiffre huit avant d’enfiler ses chaussures, sa veste, et de sortir. Il attendait à l’arrêt de bus que ce dernier veuille bien se montrer. Il attendait à la gare le moment ou son train allait arriver. Il attendait debout dans le wagon le moment où il arrivait à sa destination. Il attendait un autre bus qui le menait jusqu’à son lieu de travail. Et une fois là-bas, il attendait que les pièces arrivent sur le tapis roulant avant de les prendre et de les ranger dans les boites en cartons.

Il passait ses journées à attendre. Encore et encore. Du matin au soir. Du réveil au coucher. Sa vie était réglée comme du papier à musique. Chaque chose était faite en temps et en heure. Pas avant, pas après. A l’instant où cela devait se passer. Et il attendait pour cela.

Le bruit de l’horloge murale le sortit de ses pensées. Tic, tac. Tic, tac. Il était toujours dans sa cellule froide et grise. Il était quatorze heures et vingt et une minutes. Encore une dizaine d’heures à attendre avant de se coucher dans le lit et dormir. Et ne plus penser qu’il est enfermé entre ces quatre murs. C’est long. C’est répétitif. C’est une habitude. C’est ennuyeux. Triste à en mourir. Toujours la même rengaine, encore et encore. Il aurait préféré être dehors. La seule fenêtre de la pièce était solidement entravée de barreaux. Il pouvait ouvrir la fenêtre, sentir l’air frais de dehors, regarder rapidement entre les barres de métal. Mais c’était tout. La grille l’empêchait de pouvoir en faire plus. Il aurait voulu au moins pouvoir tendre le bras en dehors de cette pièce grise, mais ce n’était pas possible.

Tic, tac. Tic, tac. L’horloge sur le mur continuait d’écouler ses secondes, inexorablement. Mais combien en fallait-il encore avant de pouvoir sortir ? Des dizaines, des centaines de milliers ? Des milliards ? Il tentait de compter sur ses doigts avant d’abandonner rapidement. Il n’aimait pas trop les mathématiques. C’était quelque chose de compliqué.

C’était un jour comme les autres, banal, pourtant il se rappelait avec précision de tout. Il avait pris son parapluie le matin avant de sortir. La pluie tombait à grosses gouttes, et le ciel était aussi gris que la cellule de sa prison. Comme d’habitude, il avait pris le bus. Il avait laissé sa place à une femme âgée qui l’avait remercié avec un grand sourire aux lèvres. Même si la journée ne s’annonçait pas ensoleillée, c’était un début de beau temps dans son cœur. Dans le train, il avait donné quelques pièces à un pauvre hère qui n’en avait pas. Il compatissait aux malheurs des autres et n’hésitait pas quand il pouvait les aider. C’est ce qu’il avait fait ce jour-là. Aider son prochain, comme on le lui avait appris. Il n’était pas croyant. Ses parents l’étaient. Ils lui avaient inculqué des bonnes valeurs. Il les avait toujours suivies sans jamais s’en détourner. On lui avait dit qu’en faisant le bien, on recevait du bien en retour. Alors il faisait le bien autour de lui. Mais il avait rarement reçu des choses bien en retour. Ce n’était pas grave. Jusqu’à aujourd’hui.

Tic, tac. Tic, tac. Quatorze heures et trente-deux minutes. Il n’avait pas bougé, toujours recroquevillé sur le sol contre le mur. Un frisson lui parcouru l’échine. C’est vrai qu’il faisait froid dans la pièce, et que les vêtements qu’il portait ne le protégeaient pas vraiment. Il aurait pu récupérer la couverture roulée en boule sur son lit, mais il n’avait pas envie de bouger. Il était bien installé là, même s’il était par terre et qu’il faisait froid. Il se replongea alors dans ses souvenirs, reprenant à l’endroit où il les avait laissés.

Il était arrivé au travail, pile à l’heure, comme la veille, comme l’avant-veille, comme la semaine dernière et le mois d’avant. Il n’aimait pas arriver en avance. Et pire encore, il détestait arriver en retard. Cela n’était arrivé qu’une seule fois. Il avait travaillé, comme d’habitude, attendant chaque pièce pour la ranger avec ses sœurs au fond d’une boite en carton. Et une fois que la boite était pleine, il la refermait pour la poser ailleurs, avant d’en reprendre un autre, vide, qu’il remplissait à son tour. Et ainsi de suite. Des petites pièces en métal, froides. Glaciales. Lisses. Coupantes. Mortelles.

Son supérieur était venu le voir. Ils avaient discuté. Longtemps. L’entreprise avait des soucis. L’argent ne rentrait plus aussi facilement qu’avant. Il fallait faire des sacrifices. Il faisait parti de ceux que l’on sacrifiait aujourd’hui. Et lui, lui qui attendait, lui qui travaillait, lui qui obéissait sans poser de questions, lui, avait vu rouge. D’un seul coup. Et du rouge, il y en avait partout quelques instants plus tard. Il n’avait pas compris. Il n’avait pas fui. A quoi bon ? Il s’était retrouvé entre ces quatre murs gris après cet évènement tragique.

Tic, tac. Quatorze heures et quarante-cinq minutes. Il attendait toujours, recroquevillé contre le mur. Des bruits de pas se firent entendre. Ils se rapprochaient, de plus en plus. Le cliquetis de la clé que l’on met dans la serrure. Le bruit de la porte qui s’ouvre. Libérateur. Enfin.