Cela faisait longtemps que je n’avais pas ressenti ce genre de sensations. Cette excitation primaire. Incontrôlable. Ces tremblements que je suis incapable de maîtriser. Ces frissons que je ne peux réprimer, qui me grimpent le long de la colonne vertébrale. C’est exactement ce qu’il s’est passé hier soir au sous-sol. Je tremblais sans le vouloir pendant tout l’acte. A chaque seconde, du début à la fin. C’était l’extase.

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La moralité est bien trop dépendante des émotions et ne dépend pas assez de la pensée rationnelle. Si la moralité doit être déterminée par une chose, ça devrait être par les sentiments. Les sentiments changent. Ils sont nébuleux et subjectifs. Elle, devrait être déterminée juste en pensant. Les actions d’une créature sauvage sont naturelles, et donc morales, à moins qu’une raison scientifique concrète ne puisse être donnée pour les prouver comme immorales…

Mais je m’égare, je ne sais pas pourquoi je parle de ce genre de chose…

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Ce week-end, c’est notre week-end à Julia et à moi. Mais cette fois-ci, je ne suis pas vraiment d’humeur à m’occuper d’elle. Alors j’essaye de la distraire un peu avec la télévision. Je l’ai mise devant des dessins animés. Elle est contente. Moi, je me suis installé sur le fauteuil et j’ai essayé de lire un peu pour me changer les idées. Mais je n’arrivais pas à me concentrer sur ma lecture. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Alors je suis sorti du salon pour m’installer dans le bureau, laissant Julia s’amuser. Je ne pense pas qu’elle fasse de bêtises, c’est une jeune fille sage.

Une fois assis à mon bureau, j’ai essayé d’écrire. J’avais mon stylo dans ma main droite, mon cahier grand ouvert devant moi. Mais rien de vraiment concret n’est sorti de mon esprit. Juste la poignée habituelle de pensées et de théories complètement déconnectées de la réalité. Disons que ma dose quotidienne de médicament ne m’aident pas à réfléchir comme il faut. Et mon récent divorce ne m’aide certainement pas non plus. Pourtant, je ne suis pas quelqu’un de déprimé. Pas le moins du monde. Je suis quelqu’un d’éclairé. Et si je suis ainsi, c’est simplement le résultat de deux décennies d’éducation scientifique et de réflexions philosophiques. C’est le prix de la connaissance.

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Je ne sais pas pourquoi j’utilise le prénom de ma fille comme code de verrouillage pour la porte du bunker. Je sais juste qu’elle était contente de savoir que c’était son prénom qu’il suffisait de taper pour y avoir accès. Elle n’a pas besoin de grand-chose pour être heureuse. Elle est comme sa mère. Une version délicate et fragile de sa mère.

Theresa a dit que j’étais parano, que cela ne servait à rien de faire construire ce bunker. Mais moi je sais que cette paix ne durera pas. Et quand ça arrivera, j’aurai un endroit où aller. Je pourrai survivre.

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C’est finalement arrivé. Ce que je redoutais depuis quelques temps. Ce pour quoi j’ai fait construire ce bunker de survie. Le monde entier a sombré dans le chaos. Ce ne sont plus que tonnerre de cris et de hurlements. Quand il ne restera que des cendres, alors nous serons tous redevenus des animaux sauvages. Des primates incapables de raisonner convenablement, s’entretuant pour quelques miettes de survie.

Je suis inquiet pour Theresa. Cela fait plusieurs jours que j’essaye de la joindre, mais elle ne me répond pas. Je voulais seulement lui dire de ne pas s’inquiéter pour Julia, que notre fille était en sécurité avec moi. Mais je devrais peut être me faire à l’idée que mon ex-femme est probablement morte, comme une grande partie de la population.

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Je ne sais pas quoi faire avec Julia. La majeure partie des habitants de la ville sont morts. Nous avons survécu parce que nous avions le bunker. On a couru pour s’y enfermer dès qu’on a entendu qu’il y avait ce boucan de l’Enfer. Nous avons survécu. C’était peut-être ce dont j’avais besoin. Etre libre de toutes les règles irrationnelles et des valeurs établies par mes pairs. Juste survivre.

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J’ai rangé dans des cartons tout ce qui n’était pas utile ou pratique pour continuer à vivre. J’ai brûlé tous les livres qui n’étaient pas destinés à l’éducation scientifique. Julia s’est mise à pleurer quand je me suis débarrassé de ses livres d’enfant. Je lui ai expliqué que cela ne servait à rien de garder des livres avec des lutins qui s’amusent avec des licornes dans un pays imaginaire. Elle m’a dit que j’étais méchant, et a continué de pleurer.

La plupart des cartons sont actuellement au sous-sol, bien empilés les uns sur les autres. Un jour peut-être, j’aurai l’occasion de les ressortir.

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Julia s’est souvenue de la fête des pères et m’a fait un dessin. Un dessin où elle nous a dessinés, avec Theresa, un chat, un chien, une maison, des arbres… Je ne comprends pas. Cette gamine est exactement comme sa mère. Elle préfère perdre son temps à dessiner ce genre de choses inutiles alors que nous avons à peine de quoi nous nourrir.

J’ai pris ses pastels et je les ai transformés en bougie. Nous avons besoin de plus de bougies au cas où le générateur s’arrêterait. C’est déjà arrivé une fois, il y a deux semaines. Au moins, la prochaine fois, nous aurons de quoi nous éclairer.

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Je ne sais pas quoi faire. Depuis la catastrophe, la vie est devenue monotone. J’aspire à l’excitation des premières semaines. Mais l’ennui s’est installé.

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Tout ça, ce sont des choses que j’ai toujours voulu faire. Pendant des années. Tous ces désirs que j’ai gardés enfermés en moi. Verrouillés dans ma conscience bien-pensante. Je ne sais pas depuis combien de temps je n’ai pas vu de femme. Six mois ? Un an ? Maintenant, je me rends compte que je n’ai aucune raison valable de garder mes désirs enfermés au fond de moi. Je devrais les laisser sortir. Ce n’est pas quelque chose de mal, si ?

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Je suis un ensemble d’ADN. Si j’existe, c’est pour faire d’autres moi-même. Je me suis marié, j’ai eu une fille. Mais c’est parce que mes gènes exigent que je me reproduise. J’ai écrit des livres, j’ai créé des choses, parce que la créativité est un avantage à la survie, comme pour mes ancêtres les grands singes.

J’ai construit cet endroit. Je me suis réfugié dedans. J’ai passé des heures et des heures à imaginer de nouvelles lois superficielles. Pourquoi ? Pour faire comme mes ancêtres avant moi. Ils ont bâti des villes et des sociétés pour permettre aux gens de se reproduire, pour répandre leurs gènes. Pour se reproduire en paix.

Amour, désir, opinion, rêve, beauté, innocence… Tous ces mots ne sont que des fragments de notre imaginaire primordial collectif. Ce sont des signaux électriques fugaces qui traversent nos synapses le temps d’un instant futile et inutile.

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Aujourd’hui, je suis là. Le dernier homme sur terre à ce que je sache. De toute façon, il n’y a pas assez de nourriture pour deux. Elle va mourir de toute façon. Demain, ou après-demain, dans quelques jours… Je ne sais pas. Et je serai libre. Enfin libre.

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Julia est morte pendant la nuit. Je ne sais pas de quoi exactement. Famine ? Déshydratation ? Perte de sang ? Je n’en sais rien, et ça ne m’intéresse pas le moins du monde. J’ai jeté son corps dans le sous-sol. Il pourra peut-être encore me servir dans les prochains jours, qui sait ?

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Je suis content de savoir que je n’ai rien fait de mal. A une époque lointaine, on m’aurait dit que ce que j’ai fait est ignoble. Mais pas aujourd’hui. Je n’ai rien fait de mal.

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