Ton souffle s’est éteint dans un matin trop calme,
Sans cri, sans grand fracas, sans larmes, sans combat,
Et j’ai su à l’instant, sans que nul ne me parle,
Que le monde venait de perdre un de ses pas.

Ton fauteuil est resté, là, vide, comme un trône,
Là où ta voix régnait sur l’ombre et sur le temps.
Chaque chose a gardé ton empreinte, une aumône
Que laisse un roi défunt à ses enfants absents.

Je marche dans la maison, ta maison, notre terre,
Les murs ont pris ton poids, la lumière te suit.
Et dans chaque recoin, dans chaque chose amère,
Je sens ton souvenir qui doucement me nuit.

Tu étais l’arbre fort, la parole et l’armure,
Le rocher sous l’orage, un regard sans détour.
Tu disais peu de mots, mais leur sobre droiture
Faisait plier l’orgueil, relevait chaque jour.

Ton silence était loi, mais jamais une cage,
Il portait des conseils que le cœur comprenait.
Et ton rire, si rare, était comme un nuage
De soleil revenu sur l’hiver qu’on craignait.

Tu n’étais pas parfait, ni tendre à chaque geste,
Mais tu étais présent, stable comme un galet.
Et moi, dans mes saisons d’enfant, d’âme en liesse,
Je courais vers tes pas comme vers un ballet.

Quand l’adulte est venu, j’ai voulu te comprendre,
Déchiffrer ton regard, tes failles, ton labeur.
Mais la vie nous entraîne, et j’ai fini par vendre
Ces heures précieuses contre un peu de rancœur.

Je n’ai pas su te dire, sans trembler, sans détour,
Combien tu m’étais cher, combien tu faisais l’homme.
J’ai gardé dans mon cœur ce « je t’aime » trop lourd,
Et maintenant qu’il pèse, c’est trop tard, il assomme.

Ta tombe est un jardin où mes mots vont fleurir,
Mais aucun n’égalera la force de ton nom.
Je dépose mes vers comme on vient s’agenouillir,
Avec, dans chaque lettre, un peu de ton pardon.

Tu vis dans mes silences, mes gestes, mes colères,
Dans l’écho de mes choix, dans l’ombre de mes nuits.
Et parfois je t’entends dans le souffle d’un frère,
Ou dans ma propre voix, quand l’âge me poursuit.

Tu n’es plus là, mais tout me parle de toi.
Le bois que tu fendais, le pain, l’odeur du cuir,
Le tic-tac de l’horloge, et jusqu’à cette croix
Que tu portais jadis sans jamais la brandir.

Je pleure aujourd’hui l’homme que j’ai trop peu vu,
Trop peu connu sans doute, trop peu remercié.
Mais dans mon cœur brisé, je t’écris à la vue,
Comme on écrit au ciel quand on n’a plus de clef.

Père, si tu m’entends, là-haut, ou dans les pierres,
Sache que ton absence n’a pas creusé le vide.
Elle a bâti en moi des fondations plus fières,
Et chaque mot que je dis te rend moins intrépide.

Car tu n’étais qu’un homme, et c’est cela l’honneur :
D’avoir tenu debout, malgré tout, malgré l’âge.
D’avoir semé la vie, la fatigue et l’ardeur,
Et d’avoir su mourir en me laissant ton courage.

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